Blancheporte a envoyé à 50000 de ses clientes des catalogues personnalisés pour elles seules. Ce projet stratégique boucle la boucle entre print et web. Pour le réaliser, le vépéciste a relevé de nombreux défis de l’analyse des données clients à la personnalisation des contenus et de l’impression. Résultat : une hausse des commandes de 20% et de 7% du panier moyen. (Photo Blancheporte)
Au début de l’été 2020, 50 000 clientes du vépéciste Blancheporte ont reçu pour la première fois un catalogue unique, entièrement personnalisé à leur intention. Derrière leur prénom imprimé en capitales sur la couverture, un cahier entièrement peaufiné pour elles les attendaient avec des produits choisis par rapport à leurs habitudes et leurs goûts. Pour la firme tourquennoise née en 1806, cette expérimentation fait partie d’une stratégie plus homogène entre papier et numérique qui part du classique web-to-print pour boucler en print-to-web. Mais le projet a représenté un ensemble de défis complexes depuis la personnalisation du contenu du catalogue jusqu’à son impression différenciée. Salvatore Spatafora, directeur associé a dévoilé à Enjeux Marketing la façon dont l’entreprise a collecté et analysé les données des consommateurs et comment il a digitalisé son processus catalogue.
En 2016, Blancheporte reprend la main sur sa stratégie digitale
Qu’on ne s’y trompe pas, comme le rappelle Salvatore Spatafora, directeur associé en charge du marketing, de la relation client et du e-commerce de Blancheporte, on ne parle pas ici de digitalisation d’un catalogue papier. » Le vépéciste dispose d’une version en ligne depuis 2005, année du lancement de son site web. « Mais jusqu’en 2010, nous étions plutôt dans une transposition en couleur de notre site Minitel, plaisante le dirigeant. » Entre 2010 à 2012, la société déploie une réelle première stratégie digitale avec des leviers comme l’affiliation. « Nous avons commencé à basculer les plans commerciaux vers du drive-to-web, précise Salvatore Spatafora. Nous avons fourni à l’internaute toute l’information disponible sur le produit, davantage de vues différentes de l’article, de dos par exemple ou avec un zoom… »
Comment personnaliser le catalogue papier, à l’instar du site web ?
Mais tout démarre vraiment en 2016. Blanche Porte est alors reprise par son directeur général Frank Duriez et son comité de direction après avoir été détenue 23 ans par le groupe 3SI (Les 3 Suisses). « Nous avons retrouvé notre indépendance y compris pour la stratégie digitale », se réjouit Salvatore Spatafora. L’entreprise décide alors d’accélérer. Elle continue de s’appuyer sur la version papier premium de son catalogue pour conduire ses clientes vers son site web. Un contact physique essentiel, selon la marque qui ne dispose d’aucun point de vente. Mais en 2020, elle franchit une toute nouvelle étape avec l’idée de le personnaliser pour une partie de ses clientes.
« Nous nous sommes demandé comment reproduire la même chose avec le catalogue papier, raconte Salvatore Spatafora. Habituellement, nous faisons le choix préalable de ce que nous considérons comme le meilleur pour le plus grand nombre. Et nous sommes nécessairement dans le compromis ! » Blanche Porte a donc décidé d’expérimenter un catalogue dont un tiers des pages seraient conçues spécifiquement pour la destinataire. Le projet a représenté une démarche complexe qu’il s’agisse de la personnalisation de l’offre et du contenu du catalogue, ou de sa réalisation et de son impression. « C’est un peu comme réaménager un tiers de son magasin pour une cliente particulière, » résume le directeur associé du vépéciste.
Un catalogue moins épais, mais ciblé
Chaque catalogue personnalisé est unique. Il ne compte que 60 pages, soit une offre 22% moins importante que le catalogue classique et ses 76 pages. La personnalisation réside dans un contenu éditorial adapté, avec le prénom de la cliente en grands caractères sur la couverture et dans un cahier intérieur complètement personnalisé en fonction de ses goûts et habitudes d’achat. Mais 24 des soixante pages contiennent des produitset des gammes choisis par rapport aux goûts et habitudes de la cliente. Son prénom est présent sur la couverture et sur son cahier personnalisé. Le cahier qui lui est réservé contient une page d’articles de sa couleur préférée, son horoscope, des éléments sur son année de naissance, un quiz sur son style associé à un QR code pour trouver davantage d’information sur les articles choisis pour elle.
Facile à décrire, moins facile à réaliser. « C’est un produit complexe à mettre en place et à industrialiser », prévient Salvatore Spatafora. Il a fallu deux mois pour réaliser le prototype de catalogue personnalisé et pas moins de 6 partenaires pour tout le processus. Les clientes ont été choisies parmi les meilleures et les plus représentatives de Blancheporte et celles avec l’usage le plus avancé du digital. Les données sur leurs achats ou leurs préférences en matière de couleur par exemple, couplées avec de l’analytique IA, cela a permis de proposer cette expérimentation avec un prototype de catalogue personnalisé sur 50000 clientes. Une forme d’A/B testing dans le monde physique.
Un moteur d’IA pour identifier les produits à proposer
Blanche porte a d’abord fait appel au moteur d’IA de la startup lilloise Nuukik. Son modèle prédictif conçu pour le merchandising identifie les produits à proposer en priorité à chaque consommateur ciblé. Blancheporte l’a alimenté avec un an et demi d’historique d’achats, soit 5 millions de « tickets de caisse », 12 000 références produits, des préférences de couleur et la saisonnalité des ventes. Le tout a abouti à 1,6 million de recommandations produits qui ont été combinées avec une autre analyse IA des parcours des clients concernées sur le site.
Pour créer le PDF générique du catalogue prêt à être personnalisé, les équipes de communication internes ont préparé les templates, les chartes graphiques et laissé des emplacements libres pour le contenu spécifique. Une autre startup, Smartalog s’est occupée de la préparation à l’impression avec un processus proche du publipostage. La jeune pousse adapte le PDF en fonction des données descriptives de la cliente et de la liste de produits identifiés pour elle. 1,2 million de PDF ont ainsi été générés, soit 15 Go de données. L’expérimentation a nécessité une chaîne d’exécution incluant le moteur d’IA avec Nuukik, la préparation du document et des chartes avec la communication interne du vépéciste, la structuration du PDF avec Smartlog, l’assemblage et le brochage avec Nord Façonnage, et l’impression avec Paragon. Le routage personnalisé incombe au spécialiste TDM.Log.
10 mois, de l’analyse de données à l’envoi aux clientes
La collecte et l’analyse de données par l’IA a commencé en mai 2019. La création du concept marketing a conduit jusqu’en septembre, période à laquelle Blancheporte a choisi ses partenaires. Et le modèle IA a été construit en 2 mois, de novembre à décembre. Il a tourné en test une première fois en février 2020 pour valider le fonctionnement du PDF. Le catalogue est finalement parti chez les clientes… le 9 mars, à quelques jours du confinement. Une petite dose de chance dans un long processus.
Mais le parcours n’a pas été sans embûches. Face à la taille des documents comprenant des images HD, les premières impressions sont médiocres. L’entreprise a donc changé de machines et de réglages chez son imprimeur. Mais ce n’est pas tout. « Le prénom est sur la couverture, les pages 3 et 4 et la dernière avant la 3e de couverture contiennent l’année de naissance et le prénom sur des produits en éponge, continue Salvatore Spatafora. Il a fallu régler le transfert des bonnes données avec notre brocheur, Nord Façonnage, afin d’appairer tous ces éléments. Pas question d’avoir le moindre décalage ! »
Un A/B testing dans le monde physique
Restait à analyser les résultats de cette expérience. Blancheporte a bien entendu observé sur son site le comportement des 50 000 clientes avec le catalogue personnalisé. Mais il l’a comparé quantitativement et qualitativement à 50 000 autres ayant reçu le catalogue habituel. « Parmi le million de clientes qui correspondaient à nos critères pour l’expérience, nous en avons sélectionné un dixième et les avons réparties aléatoirement en deux groupes, raconte Salvatore Spatafora.» Le vépéciste voulait mesurer en temps réel si les clientes avec la formule innovante commentaient davantage. Lesquelles commandaient ou non. Mais en plus de cette étude quantitative, Blancheporte à commandé une étude qualitative. 250 clientes de chaque groupe ont rempli un questionnaire sur leur ressenti, leur mémorisation, etc. Et 12 d’entre elles ont même répondu à un entretien de 40 min par téléphone. L’analyse a été menée avec la filiale spécialisée du groupe la Poste, Isoskele.
35% d’actes d’achat en plus et un panier supérieur de 7%
Les résultats sont clairs. Le nouveau catalogue a une réelle capacité à attirer l’attention puisque 90% de celles qui l’ont reçu se souviennent du catalogue Blancheporte. Elles sont deux fois moins nombreuses avec la formule habituelle. Les clientes au nouveau catalogue ont généré 35% d’actes d’achat en plus. Elles sont 28% de plus à avoir commandé et leur panier moyen est supérieur de 7% au panier moyen des autres.
Pour Salvatore Spatafora, la relation avec la cliente est liée au couplage entre papier et web. « Nos clientes, quinquagénaires, se sont senties comme nous de plus en plus à l’aise avec le digital au fil du temps, insiste le directeur associé, conscient de l’image souvent faussée de sa clientèle. Le digital nous a recentrés sur un cible quinqua alors que nous avions une clientèle plus âgée. Nous utilisons donc le catalogue papier pour les entraîner vers le web. Ce n’est pas le catalogue qui est connecté, mais notre cliente. » Le drive-to-web a déjà hissé Blancheporte dans le top 10 des vendeurs de mode en ligne en France en 2018 selon le classement Kantar. « Mais ce projet donne un tout nouveau rôle au média papier, estime Salvatore Spatafora. Du drive to web au web to Print : la boucle est bouclée entre le offline et le online. »
Emmanuelle Delsol