Venu du mainframe et aujourd’hui sur Unix, le système d’information du PMU entame une nouvelle révolution, avec une migration programmée vers le cloud. Le DSI de l’opérateur hippique détaille cette opération, qui doit se dérouler sans perturber une activité totalement dépendante de ce système. (Photo : Bruno Lévy)
Arrivé au sein du PMU en 2018, Stéphane Boulanger en est devenu le directeur des systèmes d’information et des opérations en janvier 2022, après deux autres postes à responsabilité au sein du premier opérateur hippique en Europe. Au sein du PMU, l’hippisme représente 90% de l’activité, le sport et le poker générant le solde. La société travaille également au développement de nouvelles activités, notamment une offre NFT permettant d’associer des chevaux virtuels à des chevaux réels. Un virage qui doit déboucher sur la création d’un jeu en ligne (de type fantasy game), bâti sur des SI complètement neufs.
Si le sujet implique des projets de développement côté IT, Stéphane Boulanger, 20 ans de carrière dans le métier dont 7 à la Stime (l’informatique du Groupement des Mousquetaires), est surtout focalisé sur le programme de modernisation de ses SI historiques, couplé à une migration progressive dans le cloud. Un programme massif qui doit se dérouler sans la moindre interruption de service…
Quels sont les principaux enjeux de la DSI du PMU ?
Stéphane Boulanger : Nous faisons face à deux grands défis. Le premier concerne bien entendu l’expérience client que nous proposons au travers de nos applications digitales. Le second réside dans la modernisation de notre système d’information, qui encaisse des volumes de transactions importants : 1,1 milliard de transactions par an, avec des pics à 2 000 transactions par seconde. A titre de comparaison, l’ensemble des distributeurs de billets de l’Hexagone en génère 1,2 milliard par an.
Pour faire tourner ce système, nous sommes sortis du mainframe voici plusieurs années pour migrer vers des systèmes Unix. Mais nous avons alors conservé environ 7 millions de lignes de code Cobol. La stratégie dès lors a consisté à effeuiller le mammouth, en découpant des pans applicatifs et en les portant sur le cloud. A ce jour, il reste 3 millions de lignes Cobol, mais toute la chaîne de calcul des rapports de gains a été modernisée ; le SI digital et les premières briques du SI de vente ont été portées sur AWS. Sur nos terminaux, opérés par les commerçants ou salariés de leurs points de vente, le remplacement du client lourd par une application web est en cours, avec actuellement une étape de pré-pilote concernant une trentaine de points de vente. Début 2024, nous passerons à une phase de pilote plus large, avec 500 points de vente concernés sur les 13 500 que nous comptons sur tout le territoire. En parallèle, nous avons initié le design d’une nouvelle version de nos bornes en libre-service, avec l’objectif d’améliorer l’expérience utilisateur que nous proposons sur ces matériels. Pour ce faire, nous sommes en train de construire l’applicatif qui va faire l’objet, lui aussi, d’une phase de pré-pilote nous permettant de collecter de premiers feedbacks.
Comment avez-vous procédé pour moderniser peu à peu une application coeur, qui était par essence monolithique ?
Effectivement, cette application embarquait tous les processus métiers, de la conformité aux opérations hippiques en passant par la relation client. Le prérequis pour moderniser cette application ? Opérer une transformation de l’entreprise elle-même, un changement du mode de gouvernance que nous avons mené via le déploiement du framework d’agilité à l’échelle SAFe. Pour y parvenir, le sponsoring de ma direction générale et la capacité à embarquer d’emblée le périmètre applicatif critique se sont révélés des facteurs clefs de succès. Nous avons lancé deux trains de développement comprenant de 125 à 130 personnes chacun, avec désormais des mises en production chaque mois, et nous organisons chaque trimestre des séminaires de planification avec l’ensemble de l’entreprise. Nous remettons alors en cause notre planning en cherchant toujours l’efficacité opérationnelle et la simplicité.
Comment avez-vous réorganisé la DSI pour gérer ce système d’information hybride ?
Mon choix a été de ne pas scinder la DSI en deux. Les équipes Legacy sont embarquées dans les trains agiles, et les équipes qui bâtissent les produits les font aussi tourner en production. Car le projet de modernisation du SI était couplé à une volonté de conduite du changement, de montée en compétences sur les nouvelles technologies. Le coboliste a ainsi dû se mettre à Java et la culture Devops a imprégné toute l’entreprise.
En parallèle, grâce au sponsoring de ma direction générale que j’évoquais, j’ai pu proposer au conseil d’administration une politique visant à reprendre la main sur les compétences IT. Nous partions d’une situation où les prestataires représentaient environ deux-tiers de nos effectifs IT. La cible désormais, c’est de remonter à 60% de salariés PMU, via une politique volontariste initiée début 2022 et visant à recruter 100 personnes. A ce jour, un tiers du chemin a été accompli.
Le système d’information est au coeur de l’activité du PMU, il mobilise deux-tiers des collaborateurs travaillant au siège. Et il doit fonctionner 365 jours par an, sur une amplitude horaire de 18 heures, pour servir la France et les 56 pays dans lesquels nous sommes présents par ailleurs. Notre enjeu n°1 reste donc la qualité de service, car nous ne pouvons pas nous permettre la moindre interruption. Pour prendre une image, notre programme de modernisation consiste donc à changer le moteur de l’avion en plein vol.
Quel est votre plan de marche pour assurer la migration vers les architectures cloud ?
Au premier semestre 2023, nous lancerons un nouveau produit, appelé Big5, s’appuyant sur le nouveau moteur de jeu hébergé sur AWS. Cela permettra de fiabiliser le socle de notre futur coeur de système d’information. Puis, en 2024 et 2025, nous procéderons à la migration progressive de notre portefeuille de produits, en plusieurs lots. Les gammes de paris digitaux, qui représentent un peu moins de 15% de notre activité, seront les premiers à migrer. Cette démarche progressive s’inscrit dans une volonté de réduire les risques sur l’activité. L’ensemble de celle-ci pèse 10 Md€ et nous devons maîtriser totalement chaque étape du processus de migration.
Quel type d’architecture technique adoptez-vous sur cette nouvelle infrastructure ?
Nous avons fait le choix de nous reposer entièrement sur des micro-services, avec une architecture event-driven où chaque opération est découpée en micro-événements. Nous travaillons en collaboration étroite avec AWS sur ce système car mettre en oeuvre un système event-driven en Java est plus complexe qu’avec une technologie mainframe. Nous nous sommes également rapprochés de Dynatrace, pour mieux maîtriser l’expérience utilisateurs car nous allons fonctionner sur des chaînes complexes au sein d’un SI hybride. Des agents logiciels ont ainsi été déployés sur les bornes, les terminaux, au sein des apps ou encore sur les moteurs de calcul du SI coeur et nous avons pour ambition d’infuser la culture de la performance dans les trains SAFe, via des équipes dédiées au sujet et la construction de tableaux de bord à destination des métiers.
Votre SI a donc vocation à rester hybride pendant encore plusieurs années. Quelles adaptations cela suppose-t-il sur vos infrastructures Legacy ?
Nous avons effectivement trois ans de migration devant nous. Et nous faisons en même temps face à un sujet d’obsolescence au sein de nos datacenters actuels, sur le réseau et sur les serveurs de prise des paris. Nous allons donc renouveler cette infrastructure en l’adaptant à notre évolution en cours vers le cloud, avec un remplacement en 2023 de nos serveurs P-Series suivi par une modernisation de nos réseaux, sur la base des principes de l’Infrastructure as-code. Ce qui représente un gros changement pour nos équipes.
Comment allez-vous contrôler les coûts du cloud ?
D’abord, 100% de notre SI digital est déjà dans le cloud, ce qui représente 1,2 Md€ par an. Nous avons donc déjà initié une démarche FinOps, avec pour ambition d’en faire une activité transverse couvrant AWS, mais aussi d’autres fournisseurs de services cloud. Nous sommes en train d’embaucher les profils pour intégrer cette dimension d’optimisation des coûts en amont de toute réflexion technologique. Par ailleurs, même si nous n’avons pas opté pour le cloud uniquement pour des raisons budgétaires – mais également pour son apport en matière de flexibilité ou de support de nos activités à l’international -, AWS nous permet de dégager des gains dans la gestion des pics d’activité. Nos nouvelles architectures, permettant de tirer parti de l’élasticité du cloud, vont amener des millions d’euros d’économies par rapport à une infrastructure on-premise que nous aurions dû dimensionner pour nos pics d’activité. En effet, le PMU enregistre 50% de ses transactions dans les 5 minutes précédant le départ d’une course et, chaque année, quatre grands prix ayant une très forte visibilité génèrent des volumes colossaux.
Au global, quel est le niveau d’investissement consenti ?
Nous investissons 40 M€ sur les trois prochaines années dans la modernisation de nos systèmes d’information. Sur nos moteurs de totalisation et de répartition, sur la construction d’un nouveau SI ventes, mais également sur le volet promotion/fidélité, où nous avons lancé un chantier d’urbanisation pour simplifier les nombreuses applications aujourd’hui utilisées. Sur ce terrain, l’objectif est de construire, d’ici fin 2023, une application temps réel permettant à nos salariés d’être plus créatifs et de proposer à nos clients la bonne promotion dans le bon timing. Par ailleurs, nous travaillons également à l’amélioration de nos parcours digitaux, avec un enjeu de rénovation de notre middle-office. Soit un million de lignes de code Java que nous devons nettoyer, modulariser et rénover. En parallèle de ces chantiers de rénovation, un autre budget de 40 M€ sur trois ans est dédié aux investissements dans le SI pour soutenir le business.
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