Le secteur événementiel a dû arrêter toute activité depuis fin février. La SITL, salon emblématique de la filière transport et logistique, n’a pas échappé à la règle. Elle aura finalement bien lieu du 23 au 26 juin, mais sous une forme 100% digitale. Thomas Desplanques, directeur de l’événement, raconte à Enjeux Logistiques cette bascule réalisée en quelques semaines et ses implications pour l’avenir. (Photo SITL)
Enjeux Logistiques : La SITL est un salon imposant, avec des exposants, des conférences, des opportunités d’affaires. À quel moment avez-vous décidé de basculer vers un événement virtuel plutôt que d’annuler complètement ?
Thomas Desplanques : Il faut se souvenir du contexte. La SITL était programmée du 17 au 20 mars ! Or, dès fin février, les rassemblements de plus de 5000 personnes en milieu confiné ont été interdits. Nous avons d’abord trouvé une solution pour reporter l’événement fin juin. Mais comme beaucoup, plus les semaines ont passé, plus notre inquiétude a grandi. Le 7 mai, nous avons pris la décision d’annuler l’événement physique. Mais quelques jours plus tard, nous avons choisi d’apporter notre pierre à l’édifice pour soutenir l’écosystème transport, logistique et supply chain. Et nous avons passé la vitesse supérieure pour construire une offre digitalisée. Nous avons défini une feuille de route avec trois axes majeurs : les conférences, les rencontres entre nos clients et les visiteurs, et l’exposition proprement dite. Sans ambition ni volonté de réaliser un calque de l’édition classique !
Enjeux Logistiques : À quoi va ressembler cette édition digitale ?
Thomas Desplanques : Le partage de contenu, de connaissance, d’expérience est au cœur de la SITL. Nous programmons habituellement une centaine de conférences avec de grands patrons, des experts métier, des startups, etc. Nous allons leur substituer la SITL Live avec une quinzaine de webinars en direct avec la même typologie d’intervenants. Pour les rencontres d’affaires, nous avons mis en place Match and connect 2.0, un dispositif de prise de rendez-vous en ligne et de rencontre en visioconférence. Enfin, en lieu et place des stands, nous aurons une visite virtuelle, le Virtual Tour. Les exposants vont publier des vidéos sur notre site associé à différents secteurs qui constitueront un parcours. Elles peuvent concerner la sécurisation des entrepôts logistiques, une innovation de transporteur… Ces contenus doivent servir de présentation rapide (pitch) ou d’incitation pour des utilisateurs potentiels, des responsables de projet, etc.
Un même agenda sert aux participants à s’inscrire au Virtual tour, à une conférence ou à un rendez-vous avec un exposant
Enjeux Logistiques : Quels outils avez-vous choisis et comment ?
Thomas Desplanques : Nous nous sommes naturellement tournés vers la plateforme Vimeet. Car nous avons expérimenté avec son éditeur Proximum, la mise en relation en ligne par prise de rendez-vous pour le Supply Chain Event de novembre 2019. Nous sommes attentifs aux autres solutions. Il est important de sourcer, d’innover, mais dans la période actuelle, il fallait aller vite, et nous avions eu un très bon retour sur investissement pour nos exposants avec Vimeet. Le taux de transformation en rendez-vous réellement réalisés a dépassé 70%.
C’est le même agenda qui sert aux participants à s’inscrire au Virtual tour, à une conférence ou à un rendez-vous avec un exposant. C’est le principe du click-to-action. Dès qu’un visiteur est intéressé par un de ces éléments, il y accède directement. En revanche, il a fallu développer de nouvelles fonctions. Pour commencer, lors de la SITL 100% digitale, les rendez-vous n’auront pas lieu de visu sur site. Nous avons donc demandé à Vimeet un outil de visioconférence pour ces rencontres. Nous avons préféré un développement spécifique plutôt qu’une solution du marché, car nous avons besoin de garder la maîtrise des données, des statistiques et de leur analyse.
Sur les 750 marques exposantes au salon, 650 ont activé leur plateforme sur le site
Enjeux Logistiques : Sur son espace salon, la SITL accueille de nombreux exposants de matériels en démonstration. Avez-vous envisagé une transposition en salon virtuel ?
Thomas Desplanques : Le salon en 3D ? Non. Le délai était trop court. Mais surtout, dans ma vision, le digital doit compléter les rendez-vous physiques et pas s’y substituer. Je crois davantage à l’hybridation, avec des lieux de rencontre et des briques digitales en complément. Nous avons donc opté pour le Virtual tour. La SITL gère 8 secteurs d’activité principaux avec de l’intralogistique, des machines industrielles, de la robotique, et donc beaucoup de démonstrations. Les valoriser aussi en ligne peut avoir du sens. Le Virtual Tour est une première brique que nous compléterons dans les mois et années à venir. Nous pourrions imaginer une place de marché en complément, par exemple.
Enjeux Logistiques : Vous avez ouvert l’inscription il y a quelques jours. La SITL digitale va amortir les difficultés liées à l’annulation du salon, mais elle n’aura évidemment pas les mêmes retombées financières. Où en êtes-vous ?
Thomas Desplanques : Nous travaillons sur des indicateurs différents, en privilégiant la qualité. Celle de la conférence est manifeste, avec des intervenants comme Anne-Marie Idrac, présidente de France Logistique, Luc Nadal, DG de Gefco, Henri Le Gouis, DG de Bolloré Logistique Europe, et pour la première fois un membre du gouvernement, puisque que le secrétaire d’État aux transports Jean-Baptiste Djebbari fera une allocution. Habituellement, nous comptons 40 000 inscrits professionnels, visiteurs, acheteurs, exposants durant les 4 jours. Sur les 750 marques exposantes au salon, 650 ont activé leur plateforme sur le site et nous avons plus d’une centaine d’inscrits aux conférences. Nous avons réussi à organiser l’événement digital aux dates choisies au début de la pandémie. Nous ne nous soumettons à aucune pression particulière, mais cette période doit nous permettre d’accélérer dans nos métiers.
Avec la brique digitale, nous pouvons valoriser nos clients, les exposants, avant, pendant et après la SITL. Et nous pourrons aussi proposer notre événement à des décideurs qui ne peuvent pas se déplacer.
Enjeux Logistiques : Comptez-vous réutiliser tout ou partie de ce nouveau modèle ?
Thomas Desplanques : La SITL digitale n’est évidemment qu’une version réduite de la SITL. Il lui manque en particulier l’aspect humain des rencontres d’affaires. Mais il existe des synergies évidentes entre les deux dans la feuille de route. Le digital est un exercice nouveau qui nous pousse au grand écart, mais qui ne sera pas un exercice unique. Je suis persuadé que nous allons le conserver pour plusieurs raisons. Pour commencer, je crois fortement au média salon, au besoin de se voir, de se rencontrer, de s’informer directement en « présentiel ». Même à l’heure du 100% digital, il est important de nouer des relations dans le monde réel. Dès que nous aurons passé cette crise, le métier repartira avec force. Nous sommes en train de bâtir la prochaine édition du 13 au 15 avril 2021, et bon nombre de nos clients nous suivent.
Mais la brique digitale apporte des services complémentaires tout au long de l’année, à notre marque. Nous pouvons valoriser nos clients, les exposants, pendant la SITL, mais aussi avant et après. Et c’est aussi un moyen d’accroître notre potentiel avec des visiteurs et exposants qui ne peuvent pas se rendre sur place pour de multiples raisons. Nous pourrons proposer à des décideurs d’assister à certaines conférences en live ou d’accéder à un rendez-vous avec un exposant, par exemple.
Enjeux Logistiques : La crise du covid-19 a beaucoup affecté la filière, elle est aussi source de transformation. Avez-vous aussi adapté les sujets abordés ?
Thomas Desplanques : Bien sûr. Nous avons adapté le nombre de conférences, mais aussi leurs thématiques. Le secteur a fait preuve d’une forte résilience et d’une grande agilité. Certains logisticiens ont tout fait pour maintenir les flux, en particulier dans l’agroalimentaire ou la pharmacie, malgré la pandémie. Les retours sur cette crise sanitaire et économique auront un fort impact sur les grands schémas directeurs de cette industrie. Nous évoquerons les perspectives sans doute à partir du rapport Hémar-Daher. Nous parlerons innovation avec les robots logistiques de Scallog et le TMS de Shiptify, par exemple.
Ce secteur bouge. Des choses sont nées de cette crise, mais le retour d’expérience est encore frais. Et d’autres tendances existaient déjà. Nous aborderons par exemple la logistique verte. C’est une des conférences où nous avons le plus d’inscrits. Nous dévoilerons aussi les dernières éditions de nos baromètres sur le transport maritime et sur le fret ferroviaire.
Emmanuelle Delsol